Déni de démocratie à Paris

La modification du règlement des étalages et terrasses pourrait sembler n’être qu’un acte bureaucratique ou de gestion urbaine anodin. Pourtant il est destiné à bouleverser le paysage urbain et impacter durablement la vie des habitants de la cité. Dans le cas présent il traduit une politique délibérée la part de la Mairie de Paris d’accorder l’espace public aux bars en cohérence avec le Paris tout-festif dont rêvent la municipalité et ses édiles, sans égard pour ceux qui sont au quotidien dans les quartiers, en qualité de passants ou d’habitants. 
Comment en est-on arrivés là ?

Episode 1

La Mairie de Paris, profitant de la crise sanitaire et économique, a décidé sans aucune concertation (voir notre article de mai 2020) d’offrir l’espace public aux bars. Nous écrivions : « Présenté comme un dispositif à caractère temporaire, ce projet n’est rien moins qu’un stratagème destiné à faire passer en force – et pour inscrire définitivement – des orientations de la politique municipale contestées notamment par les associations de riverains que rassemble l’association Réseau Vivre Paris ! » La suite a malheureusement démontré que nous avions raison. Nous dénoncions lors cette décision comme « le fait du prince« .
Avec plus de 10 000 terrasses éphémères, l’été 2020 a été une véritable catastrophe en matière de nuisances sonores et de difficulté à circuler sur les trottoirs du fait de la présence des terrasses dites éphémères et ce, malgré la crise sanitaire. Nous avons reçu tout l’été des témoignages de Parisiens et en avons publiés plus d’une centaine sur notre site dans un article au titre sans équivoque : « Mme la Maire, les Parisiens ne vous disent pas merci » que la police municipale (DPSP) voulue par la Maire de Paris n’a pas été capable de faire respecter : terrasses non conformes, horaires non respectés, consignes sanitaires ignorées… Les très nombreux signalements sur l’appli DansMaRue n’ont que très rarement été suivis d’effet.

Episode 2

Lors du deuxième confinement, la Mairie a laissé de très nombreuses terrasses se dégrader, les commerçants les laissant à l’abandon. Plus de 600 terrasses ont été signalées et très peu ont été démontées. A nouveau, la Mairie et sa police municipale ont montré leur incapacité à faire appliquer cette charte qui pourtant précisait qu’il s’agissait de « dispositifs légers et esthétiques, facilement et rapidement démontables« . Ces terrasses faites de bric et de broc, empêchant l’arrivée d’éventuels secours dans les rues étroites piétonnisées, accueillant déchets et rats, dangereuses pour certaines, privant les artisans et livreurs de places de stationnement ont largement contribué au succès du hashtag #saccageparis.

Episode 3

En février 2021, la Mairie a lancé une pseudo concertation en ligne sur le stationnement à Paris. Le diable se cachant dans le détail nous écrivions : « ce questionnaire est en réalité un habillage de la volonté ancienne et tenace de la Mairie de favoriser les bars et les restaurants, en accroissant la possibilité d’étendre ou d’installer une terrasse malgré toutes les nuisances qui s’en suivent pour les riverains et les Parisiens et que nous ne cessons pas de dénoncer. » A nouveau la suite nous a donné raison.

Episode 4

En avril 2021, la Mairie a annoncé sa décision de pérenniser les terrasses éphémères et organisé une pseudo-concertation dont nous avons publié tous les comptes rendus.
Un collectif de 44 associations et collectifs d’habitants de Paris s’est constitué pour dire oui à la reconduction des terrasses éphémères pour l’été 2021 mais non à leur pérennisation (voir le communiqué de presse).
Ces représentants des Parisiens ont accepté de participer aux réunions organisées par un cabinet privé auquel la Mairie a recouru par un contrat de plus de 70 000 euros et ont soumis des contributions qui ont été superbement ignorées ou manipulées pour faire croire à un accord avec les riverains. Mais tout a été mené à la hussarde en moins de 15 jours : aucun diagnostic de l’expérience de l’été 2020, aucune prise en compte des demandes des associations et collectifs. Tout était décidé d’avance. Les terrasses éphémères s’appelleront terrasses « estivales » et seront autorisées 7 mois par an (!). Pendant la soi-disant concertation, la Mairie a  annoncé que le nouveau règlement serait voté en Conseil de Paris en juillet (voir épisode 6).

 Episode 5

Le 7 juin la Mairie de Paris a convoqué une conférence de presse pour annoncer la révision du règlement des terrasses et la pérennisation des terrasses éphémères.
Les représentants des bars et restaurants avient avertis et même invités, mais pas les associations de riverains. Cela en dit long sur la considération que nous réserve la Mairie.
Dans sa communication la mairie n’hésitait pas à mentir en annonçant que « la Mairie, les représentants de l’hôtellerie-restauration et les associations de riverains se sont mis d’accord sur le nouveau règlement des étalages et des terrasses » (voir épisode 4). Aucun erratum n’a été publié malgré nos protestations auprès de la mairie et de l’AFP. L’absence de toute référence au fait qu’un vote préalable du Conseil de Paris avait été zappé est un autre aspect des mensonges de la Mairie.

Episode 6

Le 18 juin, le nouveau règlement a été publié au Bulletin Officiel de la Ville de Paris. Les conseillers de Paris, élus par les Parisiens, n’auront pas la possibilité de s’exprimer, voire de contester ce projet. Un nouvel exemple de déni de démocratie. Les conseillers seront simplement invités à voter sur l’exonération des droits de terrasses.

La Mairie a ainsi imposé ce nouveau règlement des terrasses au mépris de la démocratie participative (les associations et collectifs représentant les Parisiens) mais aussi de la démocratie représentative (les élus du Conseil de Paris).
Toute cette opération montre bien que la ville de Paris est gouvernée par « le fait du prince ». Comment s’étonner après une telle mascarade que les électeurs boudent les urnes ?

Un dossier très complet élaboré par le collectif Droit au Sommeil vient compléter notre article : Anne Hidalgo et le lobby des cafés-restaurants : les questions qui doivent être posées

13 Comments

  1. Marie

    Comment accepter qu’après avoir vécu un enfer pendant 5 mois (de juin à fin octobre), ces terrasses reviennent chaque année pendant 7 mois (de début avril à fin octobre), soit plus de la moitié de l’année ???
    La place en bas de mon immeuble a été entièrement recouverte par les terrasses de 8 restaurants successifs, représentant environ 500m2 ! Ces terrasses, faites de palettes, bâches déchirées et planches tagguées, faisaient ressembler cette place aux bas fonds de Hong-Kong ou de Bombay (j’ai pris des photos) plutôt qu’au centre de Paris… À ce jour, 2 terrasses sont toujours installées. Un des restaurateurs m’a dit sans complexe qu’il savait que sa terrasse devait être retirée au 1er novembre (nous sommes le 13) mais qu’il la laissait car aucun contrôle ne l’oblige à la remballer ….
    Laxisme de la mairie + anarchie des restaurateurs = riverains sacrifiés et Paris saccagé

  2. saint-just

    y a t il une action en justice prévue par les collectifs de riverains ? si oui comment faire pour y participer ?

    je suis sidéré , je ne pouvais pas imaginer que mme hidalgo braderait l’espace public de cette manière au mépris du droit au repos et sommeil des uns et des autres

  3. Anne

    Je lis ici : https://www.lefigaro.fr/conso/paris-un-commercant-du-marais-lance-un-tee-shirt-saccageparis-pour-protester-contre-la-municipalite-20210717 qu’un commerçant du Marais lance un tee-shirt #saccageparis pour protester contre la municipalité… Autant je trouve aussi que la mairie saccage souvent Paris, autant je ne suis pas du tout d’accord avec ses revendications : fermeture de la voie Georges Pompidou, piétonisation de la rue de Rivoli… Ce n’est pas du tout ce que je reproche à la mairie ! Ce que je reproche à la mairie, c’est, éventuellement, d’enlaidir la ville. Et surtout la collusion qui lui fait défendre les bars contre le droit au repos des habitants, au détriment de leur santé !
    Ne pourriez-vous pas lancer vous aussi un tee-shirt, des autocollants, des banderoles…, qui expriment le ras-le-bol des riverains ? Des banderoles : Droit au sommeil, ou Halte aux bars, ou autres… à accrocher à nos fenêtres, vous permettraient peut-être d’être un peu plus visibles, de faire parler de vous, ce qui amènerait peut-être d’autres gens à vous contacter, vous soutenir, vous rejoindre ! Et cela ferait peut-être bouger la mairie, puisque la mairie ne se préoccupe que d’image, de communication, sans égard pour la santé des gens et la justesse de leurs revendications…

  4. Laval

    Que faire car cette situation est scandaleuse et les équipes de Anne Hidalgo et Ariel Weil ont sans doutes été corrompu par le syndicat des restaurateurs pour avoir autorisé que les rue de Paris deviennent des restaurants au détriment de la vie des habitants et des diverses nuissances que cela occasionent (degradation esthétique circulation bruit odeur propeté et sur population )

    • Anne

      Les liens entre la mairie et les lobbies sont en effet des plus ambigus. La mairie soutient politiquement et verse des subventions aux associations de défense des bars. Et ces associations emploient, salarient, des proches des élus (amis, soutiens, idylles…). La mairie est donc extrêmement proche des lobbies…
      Dans le temps, les élus octroyaient des emplois fictifs à leurs proches. C’est peut-être devenu trop risqué. Maintenant, on place ses proches dans des associations, auxquelles on verse des subventions. C’est peut-être beaucoup moins risqué…

  5. Yann Hamard

    Vous avez tout dit : DENI DE DEMOCRATIE ! On n’en peut plus du fait du Prince ou de la Princesse!

    • Anne

      Fait du Prince ? Je parlerais plutôt de fait des lobbies… C’est encore pire, car le Prince finira un jour ou l’autre par être renversé… Mais les lobbies, eux, subsisteront.

  6. PETIT

    C’est en effet un déni complet de démocratie… aucun vote, référendum, permettant de légitimer ces décisions ayant un impact majeur sur la façon d’envisager l’espace public, sur le « vivre ensemble », sur les riverains subissant directement ces nuisances, sur la vie économique de nombreuses professions autres que les restaurateurs / bistrotiers. A part attendre de prochaines élections et espérer une prochaine équipe municipale qui change ces décisions arbitraires, y-a-t-il quelque chose à faire d’ici là ?

    • Anne

      Malheureusement, il ne faut à mon avis pas s’y tromper : la mairie de Paris est vendue aux lobbies des bars. Les lobbies des bars emploient des proches des élus, qui en retour leur accordent subventions et soutien. Mais pensez-vous que cela changera avec un changement d’équipe municipale ? Rien n’est moins sûr ! J’ai bien vu que le maire de droite de mon arrondissement était aussi vendu que la mairie centrale de gauche ! Quel que soit le maire élu, les lobbies resteront et dicteront les décisions ! Les lobbies sont un énorme problème démocratique, ils confisquent le pouvoir !

  7. Jean-François Vibert

    De nombreux Parisiens sont réellement effarés et sidérés devant cette invasion de l’espace public… et devant les nuisances sonores et visuelles qui en découlent !
    Pour le moment pas grand chose ne se passe, car tout le monde est encore dans le soulagement de pouvoir à nouveau sortir et respirer au grand air… Mais il ne s’agit que d’une période transitoire.
    Les victimes de nuisances sonores, n’ont pas encore pu se mobiliser ensemble et se coordonner, mais cela va venir… Les automobilistes (contraints et qui ne conduisent pas par plaisir mais pour travailler) qui trouvent encore moins ou se garer, n’ont pas encore compris à quel point les places de parking ont été volées par les terrasses…
    Mais les Parisiens ne se laisseront pas faire et n’abandonneront pas cet espace vital si précieux (dans une ville aussi dense que Paris).
    Il est intolérable qu’une partie non négligeable de nos rues, soit ainsi attribué de façon autoritaire au Lobby des vendeurs d’alcool et de soda (un secteur économique qui franchement n’est pas à plaindre en général et qui a été très largement aidé par les finances publiques durant la crise, alors que d’autres secteurs ne l’ont pas été).

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