Pollution sonore à Paris : pour un arrêt des subventions aux Pierrots de la Nuit

Les associations et collectifs de riverains demandent l’arrêt du soutien de la mairie de Paris aux Pierrots de la nuit, un dispositif coûteux et jugé inefficace contre les nuisances sonores. Les 100 000 euros qui doivent être votés au Conseil de Paris en mars 2022 feraient franchir le cap du million d’euros de dotation à cette association présidée par le gérant de nombreux établissements parisiens (la Bellevilloise, la Rotonde Stalingrad, le Griffon…). Depuis des années, les associations et collectifs de riverains dénoncent ce dispositif, qui permet à la mairie de Paris de prétendre qu’elle s’engage dans la gestion des nuisances sonores des bars et restaurants, sans que rien ne change. Une situation inacceptable.

Les associations et collectifs de riverains* demandent :

  • L’arrêt des subventions aux Pierrots de la nuit
  • La création d’une brigade anti-bruit, spécialement dédiée, équipée et formée à la gestion des nuisances sonores
  • La nomination d’un interlocuteur unique à la mairie sur la question des nuisances sonores
  • La mise en place d’un observatoire de la pollution sonore à Paris

À quelques jours de l’ouverture de la saison des terrasses dites « estivales », qui va entraîner l’ouverture de dizaines de milliers de mètres carrés d’espaces installés sous les fenêtres des Parisiens, le dispositif de gestion des nuisances sonores de la mairie de Paris apparaît plus faible que jamais. Les effectifs de la Police municipale seront trop peu nombreux, avec moins d’une demi-douzaine d’agents en soirée dans certains arrondissements et des centaines de terrasses à contrôler. La mairie propose de renouveler son soutien aux Pierrots de la nuit, bien incapables de juguler l’épidémie de nuisances sonores.

La médiation, quel résultat?

Les Pierrots de la nuit suivraient plus de 300 établissements et contribueraient à la résolution d’une vingtaine de conflits entre riverains et établissements par an (2019). Pourtant, les associations et collectifs de riverains ne reçoivent aucun retour de terrain positif sur leurs actions. Pire, la consultation des rapports d’activités de l’association suggérerait l’échec d’une partie de leurs médiations, celles qu’ils mettent précisément en avant comme des succès. Les quelques établissements cités (dans la partie « ils nous remercient ») sont en effet bien connus des associations et collectifs, qui constatent qu’après le passage des Pierrots, la situation ne s’améliore pas, loin de là.

C’est le cas de ce restaurant ouvert en 2019 dans le 17e arrdt. de Paris. Après 14 mois de discussion, les Pierrots de la nuit mettent fin à la médiation, qu’ils jugent « impossible ». Sur la période, la situation s’est largement détériorée : des dizaines de personnes squattent le trottoir verres en main, la gérante organise des DJ set et des concerts en live jusqu’à 1h30 du matin, dans un local totalement inadapté. Elle campe sur ses positions (« Je suis chez moi, je fais ce que je veux. ») et conseille à ses voisins de déménager, ce que deux d’entre eux ont fait, épuisés par les nuisances sonores. « On s’est sentis abandonnés par la mairie d’arrondissement et les Pierrots de la nuit, sous couvert de beaux discours, ils n’ont jamais agi concrètement pour faire cesser les nuisances, on y a laissé du sommeil, de la tranquillité et on a fini par partir », déplore une ancienne habitante de l’immeuble.

Même constat pour ce bar du 2e arrondissement, devant lequel se masse fréquemment une population alcoolisée et extrêmement bruyante, donnant à la petite voie des airs de « rue de la soif ». Le secteur est pourtant visé par un arrêté interdisant la consommation d’alcool sur la voie publique. Les riverains signalent de nombreuses fois et par différents moyens l’établissement, dont les Pierrots se rapprochent en 2020. Aucune amélioration n’est notée par les habitants de la rue, qui souffrent toujours des nuisances sonores plus d’un an après. Les Pierrots de la nuit inscrivent pourtant l’établissement au chapitre des remerciements. Ces constats concernent la plupart des établissements cités dans leurs rapports d’activités.

Pour cet autre habitant du centre de Paris, les bénéfices du passage des médiateurs des Pierrots de la nuit semblent difficiles à évaluer. Il avait remué ciel et terre (mairie et préfecture) il y a quelques années pour faire cesser les nuisances sonores du restaurant en face de chez lui. S’il a pu constater une amélioration, il ne sait toutefois pas à qui il faut l’attribuer. « L’essentiel du travail, je l’ai fait moi-même, avance-t-il. Je pense néanmoins que la mairie a joué un rôle. » Quand on lui apprend que les Pierrots de la nuit sont subventionnés par la mairie de Paris et présidés par un gérant d’établissement, il s’étonne « Je pensais que c’était un collectif de riverains, bénévoles de surcroît, ce n’est pas normal… ». Le bénéfice fragile de son travail de mobilisation a été balayé par les terrasses estivales.

La médiation contre les fermetures administratives?

Depuis plus de dix ans, la mairie entend « sauver la nuit parisienne », car celle-ci mourait à petit feu sous le coup de prétendues attaques des riverains et de la préfecture. Ce narratif, déployé par les organisations professionnelles et repris par l’exécutif, déplace les responsabilités et contribue à discréditer les victimes de pollution sonore. « Les professionnels des débits de boissons pâtissent des nuisances provoquées par leur clientèle, des personnes de passage, ou même des riverains, puisqu’elles peuvent conduire, dans le pire des cas, à une fermeture de leur établissement », avançait le GNI en 2020. Le remède miracle contre ces maux serait la médiation. 

C’est à la suite des États généraux de la nuit (2010) qu’ont été créés les Pierrots, dont les instances sont uniquement composées de professionnels bistrotiers. Aucun riverain n’y participe. Une situation inédite et d’autant plus inacceptable qu’elle revient à faire payer aux citoyens une formation destinée aux professionnels du secteur, formation pour laquelle les Pierrots n’ont aucune compétence particulière. Si leur objectif est clair (« préserver la vitalité culturelle de la nuit »), il faut en comprendre le sens : il s’agit de permettre aux établissements incriminés de maintenir leur activité et donc leur chiffre d’affaires. La médiation des Pierrot s’inscrit contre les fermetures administratives. « Même si les fermetures administratives dépendent de la préfecture de police, depuis trois ans, on opère un travail de médiation, pour que le nombre de fermetures administratives sur Paris pour des raisons de nuisances sonores soit en baisse », affirmait l’adjoint à la vie nocturne en 2018.

Toujours selon cet adjoint, les « fermetures administratives pour tapage nocturne, c’est toujours un échec. » Mais un échec pour qui ? L’ensemble des interlocuteurs interrogés par l’inspection générale de la Ville (2020), avançaient que pour les nuisances sonores, « seule une menace de fermeture provisoire d’activité entraînant une importante perte de recettes aurait un effet dissuasif réel. » Ce constat technique et documenté, produit par la ville elle-même, contredit la philosophie qui sous-tend l’action des Pierrots de la nuit (et les propos de l’adjoint, au passage). Cette médiation, imaginée par la ville et déléguée à une association organisée par la profession, n’est pas conçue pour les riverains. Elle est au service d’un secteur qui se porte structurellement très bien : on compte 20 % de cafés et restaurants en plus à Paris depuis 20 ans.

Sous l’effet de cette politique calamiteuse, le nombre de fermetures administratives pour nuisances sonores a effectivement baissé, passant d’un chiffre ridicule (82 en 2017) à un chiffre dérisoire (61 en 2019 et 2020). Quant aux nuisances sonores, elles persistent plus que jamais. Un commissaire avançait récemment que 70 % des appels à la Police nationale le week-end concernaient des tapages nocturnes et qu’ils n’étaient absolument pas en mesure de prendre en charge toutes les demandes. La Police municipale et les services de tranquillité confessaient que 75 % des appels au 3975 pour nuisances sonores n’étaient pas suivis d’une interventions. Une situation qui ne risque pas de s’améliorer avec l’arrivée au 1er avril de milliers de terrasses supplémentaires et un dispositif inefficace, qu’il s’agit de repenser, de renforcer et de renouveler. Sans les Pierrots de la nuit.

Les associations et collectifs* demandent immédiatement:

  • L’arrêt des subventions aux Pierrots de la nuit
  • La fin de leur participation aux Commissions de régulation des débits de boissons
  • La participation des représentants de riverains aux Commissions de régulation des débits de boissons
  • La création d’une brigade anti-bruit, spécialement dédiée, équipée et formée à la gestion des nuisances sonores, comme promis dans le programme de Mme Hidalgo en 2014
  • La nomination d’un interlocuteur unique à la mairie sur la question des nuisances et de la pollution sonores
  • La mise en place sans délai d’un observatoire de la pollution sonore à Paris, avec son instance de travail bimensuelle, appuyée par des données factuelles et regroupant des membres des associations de riverains, BruitParif et l’interlocuteur unique de la mairie sur ces questions
  • La publication de toutes les autorisations de terrasses estivales avec mention de l’avis de la mairie d’arrondissement
  • Un soutien financier accru à l’association Bruitparif

Signataires:

Association Réseau Vivre Paris!
Association de riverains de la rue Condorcet
Droit au Sommeil
Habiter Paris
Collectif Terrasses_75
Collectif Trudaine
Collectif Riverains Léon Frot
Collectif Les Innocents – Paris Les Halles
Collectif Riverains 75005
Association de Défense des Riverains du Quartier Pont neuf Rivoli
Collectif Riverains Clichy-Blanche
Collectif Riverains Paradis
Collectif Riverains de la rue Quincampoix
Collectif Défense Riverains rue d’Odessa
Collectif Riverain de la rue du Montparnasse
Collectif Argout
Collectif Bourg Tibourg
Association le 54 rue Montmartre
Collectif Truanderie
Collectif Mandar
Union Parisienne

14 Comments

  1. Réseau Vivre Paris

    Une partie des subventions servira à payer un séjour à Montréal à Virginie Maillard, Directrice artistique des Pierrots de la nuit, qui participera au Sommet de la nuit du 18 au 22 mai.

  2. Réseau Vivre Paris

    Dans le Parisien du 28 mars, Renaud Barillet avoue que les Pierrots de la Nuit « ne sont pas là pour empêcher les nuisances« . Ils ne servent donc à rien, si ce n’est à employer des intermittents du spectacle (« 150 cachets d’artistes » selon R. Barillet).

  3. Réseau Vivre Paris

    100 000€ (1 million en 10 ans quand même !) pour les Pierrots de la Nuit pour mieux faire la fête et 30 000€ pour BruitParif pour en mesurer les dégâts. Les priorités de la Mairie de Paris sont claires.

  4. Réseau Vivre Paris

    La députée du 20ème était en campagne à la Bellevilloise le 16 mars alors que cet établissement cause de nombreuses nuisances sonores pour le quartier. (voir notre article)

    • Habitante de la rue Boyer

      En effet Monsieur Barillet bénéficie de nombreux soutiens, c’est inadmissible.

  5. Alix Cannamela

    Je soutiens absolument cette demande de la part des différents Collectifs cités dans l’article pour l’arrêt de la subvention de la Mairie aux Pierrots de la Nuit qui , en plus d’être inefficaces , ne représentent qu’une caution supplémentaire accordée à un générateur de pollution sonore ! Il est scandaleux que ce Monsieur bénéficie d’autres subventions à travers ses diverses associations.
    Alix Cannamela

  6. Nicole

    Si je comprends bien, l’association « Les Pierrots de la nuit » est à la fois médiateur (« juge ») et partie ? Et reçoit une très forte subvention pour une mission qui, dans ces conditions, ne peut être que « dévoyée » ? C’est bien cela, j’ai compris ? La situation est …. plutôt gênante, non?

    • Anne

      J’ai vu les Pierrots à l’œuvre… Leur spectacle est sympathique. Enfin, pour être franc, ce n’est pas terrible, et pas grand monde ne s’y intéresse, les gens ne sont de toutes façons pas là pour ça. Si leur tâche consiste à faire baisser les nuisances sonores, l’efficacité est complètement nulle ! Voire est contre-productive ! J’en avais parlé avec eux, ils m’avaient expliqué que c’était surtout au travers des médiations que leur action avait une certaine efficacité. Je suis sceptique. A mon avis, leur seule efficacité est d’éviter les fermetures administratives d’établissements voyous en permettant à ces derniers de prétendre qu’ils sont dans un processus de médiation…
      Une autre fois, j’ai assisté à une discussion édifiante autour d’un verre entre une de leurs responsables et une néophyte qui demandait qui était le Réseau Vivre Paris. La responsable lui a répondu que vous étiez de vieux blancs suprémacistes… C’est le genre de rumeur que font courir vos opposants. Poutinien !

  7. De denterghem

    Soutien total à votre texte

  8. Yann Hamard

    Totalement d’accord avec l’article et les commentaires en particulier celui de Tarnowski Eloy.

  9. Tarnowski Eloy

    Bravo, soutien total ! Cette histoire est une honte depuis le début : les états généraux de la nuit, l’adjoint à la nuit dont le travail consiste à écraser les parisiens au profit des limonadiers indélicats, ces associations ubuesques payées des ponts d’or pour soit disant aider à résoudre les conflits mais en fait payées à protéger les restaurateurs indélicats, ce laisser aller, cet arbitraire et cette injustice dans lesquels cette mairie oblige un certain nombre de ses administrés à vivre.
    Cela doit s’arrêter et la justice et l’équité doivent redevenir les maîtres mots de la politique municipale en matière de nuisances sonores ( en toutes matières d’ailleurs ce serait bien)

  10. Collectif Riverains 11e

    Nous soutenons pleinement les analyses et les conclusions formulées dans ce texte

  11. Collectif Riverains Lariboisière-Gare du Nord

    Nous soutenons pleinement les demandes formulées dans ce texte.

  12. ad nauseum

    Il est scandaleux que l’argent de nos impôts aille à une pseudo structure pilotée par un exploitant d’établissements dont les nuisances sont notoires. L’alibi de l’action culturelle est honteuse. Pauvres artistes réduits à se produire auprès d’un public qui n’est pas venu pour eux et qui les accueille diversement, alors qu’il y aurait tant à faire dans les écoles, ehpad et centres d’aide à des personnes en difficultés.

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