En juin 2015, la Ville de Paris a demandé au cabinet Coopaname de réaliser une « Étude de bilan concernant le dispositif des Pierrots de la Nuit ». Le Réseau « Vivre Paris! » a analysé de près cette « étude de bilan » et propose ses commentaires détaillés, page par page. Nos commentaires sont issus d’annotations collectivement discutées par les associations qui composent le Réseau.
Après examen attentif, il apparaît que ce qui devrait constituer une « évaluation » n’est en réalité qu’une « étude alibi » qui tente de légitimer un processus totalement inapproprié.
Pourquoi ce n’est pas une évaluation et pourquoi les résultats sont-ils aussi décevants ?
1) Sur la méthode de « l’étude de bilan »
Défini par la Mairie de Paris, le cahier des charges de la mission de bilan était fortement contesté par le Réseau Vivre Paris ! Or, l’auteure de l’étude s’est laissée enfermée dans ce cahier des charges sans apporter de valeur ajoutée à l’approche de sa mission.
Le cadrage de la Mairie de Paris évacuait notamment toute possibilité de considérer que le dispositif à évaluer ne fait preuve ni d’efficacité (par rapport aux problèmes à résoudre) ni d’efficience (en termes de rapport coût efficacité). Le cabinet d’étude s’est d’emblée inscrit dans cette contrainte scientifiquement et méthodologiquement contestable.
D’autre part, la méthodologie retenue ne s’appuyait pas sur des observations in situ, aux jours et aux heures pertinentes, au sein de territoires représentatifs des phénomènes en cause. Cette erreur supplémentaire a des conséquences directes sur les résultats de l’étude, qui reste largement théorique.
Par ailleurs, le corpus documentaire sur lequel s’appuie l’étude ne fait pratiquement aucune part aux nombreux documents fournis par le Réseau Vivre Paris ! Cette lacune alimente fortement le risque d’une vision partiale de l’évaluation.
Quant au nombre des entretiens, limité à une dizaine de représentants des parties prenantes, il n’est manifestement pas à la hauteur de la diversité des acteurs en interaction et de l’hétérogénéité des situations qui posent problèmes.
Si la mission extérieure a accepté de se limiter dans ses moyens d’investigation, elle a également perdu l’opportunité de réaliser un travail méthodologiquement solide.
2) Sur l’efficacité des Pierrots
Dans leur présentation sur leur site internet, les Pierrots définissent ainsi leur mission : « Une mission de sensibilisation et de prévention auprès des sortants et des exploitants de lieux de vie nocturne pour répondre aux problématiques liées à la gestion des nuisances sonores dans l’espace public la nuit. » Ce sont les Pierrots eux mêmes qui ont souligné en gras « gestion des nuisances sonores dans l’espace public ».
Il s’agit d’un point est clef et c’est bien sur ce point qu’aurait du être défini le critère principal de jugement de l’efficacité des Pierrots. Et le bruit s’objective facilement. Le critère de jugement principal était donc simple à définir : l’étude des variations du bruits avant, pendant et après le passage des Pierrots, avec une durée suffisamment longue pour juger de la pérennité des éventuels effets. Or, le rapport d’étude est… très silencieux sur cette question des mesures de bruits.
L’étude est également très silencieuse sur un point qui devrait faire consensus. Les nuisances sonores et les comportements antisociaux étudiés sont des symptômes dont la cause est, sans conteste, l’hyperalcoolisation qui détruit la Ville, que ce soit au sein de territoires détruits par l’hyper concentration d’établissements vendant de l’alcool, ou bien dans des lieux ouverts non régulés par aucune autorité.
Or, les moyens de lutter contre ces difficultés sont double, et les Pierrots n’ont aucune place dans ces moyens. D’une part, une volonté politique de sauvegarder le bien commun doit s’exprimer pour faire respecter la réglementation, là ou elle existe, et la faire évoluer, là où elle est insuffisante. D’autre part, il s’agit d’une mission de régulation sociale qui ne peut être confiée qu’aux seuls professionnels exerçant des prérogatives de puissance publique. Ces professionnels, dont c’est le métier, maîtrisent une série de compétences techniques spécialisées en matière de lutte contre les comportements antisociaux. Ces compétences n’ont rien à voir avec le domaine « artistique » ni avec aucun amateurisme dans le domaine d’une soi-disant médiation.
La conclusion s’impose : indépendamment de l’énorme conflit d’intérêts qui a présidé à leur naissance et leur enlève toute crédibilité, est-ce que les « artistes » et les « médiateurs » des Pierrots sont compétents pour traiter l’hyperalcoolisation, pour faire respecter la réglementation, pour réduire les nuisances sonores ? Non.
3) Sur l’efficience des Pierrots
S’agissant d’argent public, le point central aurait dû être une évaluation de l’efficience du dispositif. A plusieurs reprises, l’auteure du rapport note que l’efficience du dispositif est contestée par de nombreuses personnes qu’elle a interrogées. Et pourtant ce point central n’est ni discuté ni retenu dans la conclusion de l’étude.
Ce rapport prend ainsi la signification d’une étude alibi devant conduire à légitimer coûte que coûte les Pierrots en essayant de justifier leur existence et en tentant de faire évoluer leur mission. Tout ceci ne fait que renforcer un profond malaise sous-tendu par le conflit d’intérêts majeur qui a présidé à la naissance de l’AMUON, l’association qui gère les Pierrots.
On se garde bien de communiquer le résultat de mesures sonores sérieuses qui objectiveraient le succès ou l’échec de l’action des Pierrots. De fait, la gestion des nuisances sonores dans l’espace public par les Pierrots ne fonctionne pas. Barcelone, sans cesse donné en exemple par les Pierrots eux-mêmes, a abandonné. Le rapport est également bien silencieux sur ce point clef.
Du coup, l’étude se fait l’écho du prétendu rôle de formateur des Pierrots à l’égard des établissements. Mais la formation des professionnels n’a pas à être financée par l’argent public ! Les professionnels doivent évidemment s’organiser eux-mêmes, via leurs structures propres. Et si la majorité des établissements n’adhèrent à aucune structure professionnelle, ce n’est pas une raison qui justifierait que les impôts des Parisiens servent à financer la formation des vendeurs d’alcool… par des comédiens qui n’ont eux-mêmes aucune formation validée pour assurer ce travail !
Revenons sur le conflit d’intérêts : c’est un sujet majeur. C’est une véritable gangrène dont il faut se méfier en séparant clairement les rôles. L’alcool tue 50.000 personnes par an et rend invalides à vie des dizaines de milliers d’autres. Le coût de l’alcool pour la société est très négatif (voir le récent rapport sur le coût social des drogues en France). L’argent public ne doit aucun cas cofinancer des programmes soutenus par les alcooliers : c’est un grave mélange des genres, irresponsable face à un enjeu majeur de santé publique.
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