Nous avons lu avec beaucoup d’attention votre interview dans le journal Le Monde concernant votre politique de lutte contre la pollution.
Vous avez raison de lutter contre la pollution des villes. Mais la pollution des villes ne se limite pas à la seule pollution atmosphérique, la deuxième pollution des villes est la pollution sonore (source Organisation Mondiale de la Santé). Cette pollution a un impact fort sur le quotidien des habitants et leur santé principalement par les troubles nocturnes du sommeil qu’elle engendre. Cette pollution sonore est très mal perçue par les habitants comme le montre l’enquête récente faite par le Credes.
Pour lutter contre cette pollution sonore, votre Plan de Prévention du Bruit et de l’Environnent (PPBE) est très largement insuffisant car il ne prend en compte que le bruit généré par le trafic routier. La nuit, ce qui gêne le plus le sommeil des habitants ce sont les bruits générés par trop d’établissements refusant de respecter la législation concernant les niveaux sonores à respecter et refusant de réguler le comportement de leurs clients lorsqu’ils sortent dans la rue. Ce sont aussi les vacarmes induits par la désinhibition des comportement liée à la consommation d’alcool et autres substances addictives et dangereuses de ceux qui s’installent indument sur la voie publique sans aucunement se soucier des riverains qui doivent dormir.
Non seulement votre politique de lutte contre ces bruits et incivilités n’est pas clairement définie, affirmée et visiblement mise en pratique, mais vous les favorisez par votre politique actuelle de développement de la vie nocturne, profondément asymétrique en faveur des alcooliers et ceux qui développent des activités nocturnes bruyantes non régulées.
Nous sommes 30 associations de quartier réunies dans un collectif et, tous, nous vous demandons d’avoir pour le bruit et en priorité le bruit la nuit, la même détermination, le même discours que celui que vous avez pour la pollution atmosphérique.
Le sujet de la pollution est tellement grave ! Les questions de santé publique sont cruciales pour moi. Peut-être parce que j’ai été inspectrice du travail, que j’ai vu les maladies professionnelles, l’amiante… J’ai une sensibilité particulière, comme beaucoup de Parisiens et de Parisiennes d’ailleurs. Si bien que je me suis dit : « OK, tu vas prendre des coups, mais tu n’as pas le droit de ne pas y aller. »
Les troubles du sommeil induits par le bruit ont aussi des conséquences graves en matière de santé publique : aussi nous vous demandons d’avoir exactement les mêmes préoccupations de protection de la santé les riverains.
Un acteur éminent de ce lobby est venu me voir au début de mon mandat en me disant : « Vous allez changer de discours. Et si vous ne changez pas de discours, je vous rendrai responsable de la baisse de l’emploi dans le secteur automobile . J’ai répondu à ce monsieur : « Vous êtes sans doute très puissant. Mais moi, je préfère être du bon côté de l’histoire car vous aurez sûrement à faire un jour à tous ces gens qui vont mourir des particules. Je ne veux pas être celle qui, en connaissance de cause, laisse un scandale de santé publique se développer. C’est exactement le même discours que nous attendons de vous concernant les alcooliers et les responsables d’établissements de nuit peu scrupuleux qui refusent de respecter la législation.
Ne pas lutter efficacement contre les méfaits de l’hyperalcoolisation la nuit est un scandale de santé publique. Combien de comas éthyliques, combien de morts, combien d’accidents et de viols induits par la consommation d’alcool la nuit. Comment pouvez vous laissez des lieux comme les berges du canal Saint martin dériver chaque nuit quand il fait beau et constater, au petit matin, des dégâts indirects en ramassant jusqu’à 2,5 tonnes de bouteilles de canettes et autres ordures ? Mais aussi le Parc de La Villette qui cumule les débordements sur la voie publique de jeunes alcoolisés et une dizaine de sources de nuisances sonores le reste de l’année, dont le Cabaret Sauvage, le Zénith, la Grande Halle, la petite Halle, l’Espace chapiteau, My Boat, la Péniche cinéma, les djembés et autres battucadas, le cinéma de plein air, et les concerts d’été sur la prairie des heures durant.
Les maires étrangers avec lesquels je travaille sont confrontés à des pressions similaires. Peut-être que ces lobbies ont compris que les édiles des grandes métropoles sont des prescripteurs. Si Paris, New York, Montréal, Los Angeles ou Mexico disent stop au diesel, cela change la donne. Pourquoi Paris ne serait il pas justement en pointe pour la lutte contre la pollution sonore ? Pourquoi Paris ne fait il pas comme New York qui vient d’investir des centaines de millions de dollars pour identifier et traiter les sources de bruits parce que c’est un enjeu majeur? Pourquoi Paris ne s’inspirerait il pas de ce que fait la ville de Rotterdam : une politique de développement la vie nocturne équilibré très attentive et respectueuse des riverains, pour éviter la désertification possible de certains quartiers ou de certaines rues devenus invivables du fait de la monoactivité des bars génératrices de nombreuses nuisances.
Ma bataille n’est pas contre la voiture, mais contre la pollution. C’est un changement de modèle. Certains le voient comme une contrainte, comme s’ils perdaient une part de leur confort. Or c’est une opportunité, y compris économique. On ne peut pas s’accrocher à un modèle du passé au nom de l’amortissement d’investissements massifs dans le diesel et au détriment de la santé. Je sais que c’est compliqué car cela nécessite des changements de modèle économique et industriel, de comportements personnels. Et ça ne se fait pas naturellement pour certains. Donc il faut les accompagner. Oui et c’est exactement transposable, mot pour mot, pour la lutte contre le bruit. Il existe un grand potentiel économique dans le développement du secteur de la lutte contre le bruit avec certainement l’émergence de nouveaux matériaux, de nouveau outils de mesure et de régulation intégrant des nouvelles technologies. Les centres de recherche sur la ville de demain ne s’y trompent pas : tous intègrent la recherche d’une ville plus silencieuse dans leurs objectifs prioritaires avec de nouveaux modèles économiques : il faut juste une vision politique privilégiant la santé des habitants de demain et non pas rester dans une logique à très court terme fortement influencée par les lobbies de l’alcool et de la nuit.
Tronçonner la pollution des villes en ne traitant que de la pollution atmosphérique sans ce préoccuper des conséquences notamment sur le bruit peut avoir des conséquences paradoxales désastreuses. Le plus triste exemple est la transformation de la place de la République. En organisant vous-même des concerts gigantesques, en refusant toute régulation efficace de bruit vous avez rendu cette place invivable pour les riverains. Et la très grande majorité d’entre eux regrette le temps ou la voiture était beaucoup plus présente !
Madame la Maire, nous les 31 associations du Réseau « Vivre Paris! », vous demandons d’engager résolument la ville de Paris dans une politique affirmée de lutte contre le Bruit.
Nous vous demandons que soient publiées les statistiques regroupées de l APHP, des Pompiers, de la Préfecture de Police concernant les hospitalisations, les accidents, les arrestations liées à l hyperalcoolisation sur la voie publique pour que chacun mesure la gravité du problème parce que c’est un véritable fléau tellement plus important que les mégots jetés sur la voie publique.
Nous vous demandons, enfin, de rééquilibrer urgemment votre politique du développement de la nuit en prenant en compte la nécessité de respecter absolument la qualité de nos nuits. Pour cela nous vous demandons que soit complétement mise à plat, avec la Préfecture de Police, les modalités de constat et de résolution des situations à problème que nous identifions ; c’est aujourd’hui beaucoup trop compliqué , avec trop d’interlocuteurs, beaucoup d’opacité et beaucoup trop lent. Nous voulons, comme à Rotterdam, un circuit court, totalement transparent, reposant sur des mesures objectives de niveau sonore avec des niveaux de sanctions progressifs inspirés de ce qui existe à Genève.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Maire, l’assurance de nos sentiments respectueux.
Le Réseau « Vivre Paris! »
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