22 mesures pour faire de la vie nocturne un enfer

Paris est la première destination touristique mondiale. Mais cela ne suffit pas au MAEDI (ministère des Affaires étrangères et du Développement international) qui a commandé un rapport afin de « développer et promouvoir la vie nocturne française ». Le titre du rapport : 22 mesures pour faire de la vie nocturne un facteur d’attractivité touristique à l’international. Ou 22 mesures pour rendre les villes invivables la nuit?

Petit florilège de ce rapport qui « n’engage que ses auteurs » et qui « fera l’objet d’un examen par le Ministre ». Il est cependant publié sur le site du MAEDI, ce qui lui confère un certain poids. Or, il s’appuie sur des données partiales et ouvre des perspectives inacceptables.

« La concurrence d’autres capitales nationales ou régionales comme Berlin, Londres ou Barcelone, qui ont développé des stratégies de communication offensives sur le thème de la nuit, est très forte. Se décrivant comme « des villes qui ne dorment jamais », accueillantes et ouvertes sur le monde, elles sont des destinations privilégiées de touristes européens dès le vendredi soir. »
L’objectif est, en réalité, de faire de Paris en priorité, une ville qui ne dort jamais, c’est-à-dire une ville dont les habitants ne dorment jamais. Pour mémoire, M. Le Ministre, le sommeil est un besoin et la privation de sommeil est un mode de torture très efficace. Est-ce bien ce que vous souhaitez infliger aux Parisiens et, dans la logique du rapport, aux habitants de bien d’autres villes françaises ?

« A l’heure actuelle, la mauvaise perception de la nuit explique en partie la difficulté de certaines villes ou opérateurs touristiques à en assurer la promotion. Les actions des associations de riverains à l’encontre des organisateurs d’évènements ou gérants d’établissements sont particulièrement dommageables, et ce alors que ces organismes ne représentent les intérêts que d’un faible nombre d’usagers. »
Les victimes des nuisances sonores nocturnes et les associations qui les représentent sont selon les auteurs du rapport, M. le Ministre, des gêneurs au comportement « dommageable ». Les victimes des gêneurs (de ceux qui les empêchent de dormir) sont accusés d’être des gêneurs. La loi du plus fort devra-t-elle prévaloir pour mieux contourner la LOI ?

« Proposition 4 : valoriser la nuit culturelle et festive avec la mise en place d’un outil dédié de type marque ou label
Les produits touristiques correspondant aux cinq pôles d’excellence pourraient devenir cinq segments de la marque Qualité TourismeTM. Appliquée au monde de la nuit, cette marque valoriserait à la fois la qualité de l’accueil et du service, l’exigence de la programmation des établissements labellisés et leur travail en bonne intelligence avec leur environnement immédiat. »

Qui décernera le label de « bonne intelligence avec leur environnement immédiat » ? Les riverains qui sont les principaux intéressés et les mieux placés pour exercer cette expertise seront-ils consultés et leurs voix seront-elles entendues? Ou bien les victimes seront-elles réduites au silence ? La victime doit-elle passer pour le bourreau ?

« Proposition 9 : encourager la création de lieux de fête sur l’eau dans toutes les grandes villes traversées par un fleuve ou en bordure de lacs
La vie nocturne sur les rives des lacs et des fleuves de France existe, mais elle doit être valorisée.
A Paris, 7 millions de touristes par an profitent d’une promenade en bateau, mais ils cessent généralement leur activité vers 23h.
Il faudrait envisager la prolongation des horaires d’activité de ces embarcations, et pourquoi pas la mise en place de produits innovants comme des croisières électro. Les Bateaux parisiens ont d’ores et déjà exprimé leur volonté d’être associés à cette démarche et sont ouverts à la mise en place de partenariats pour développer ce type de produits. »

Des croisières électro ? Les personnes habitant le long de la Seine ou des rivières et canaux français apprécieront. M. le Ministre, voulez-vous vider les villes de leurs habitants, transformer Paris en Venise ou Bruges alors que vous ne pouvez pas ne pas savoir que les habitants de ces villes protestent contre le sur-tourisme qui les spolie de toute vie de quartier ?

« Proposition 16 : encourager l’internationalisation des dispositifs de prévention et de médiation dédiés à la vie nocturne
« Des dispositifs comme les Pierrots de la nuit ou Fêtez Clairs ont pour objectif de préserver la qualité de la vie nocturne, en prévenant les nuisances sonores aux abords des lieux de sortie ainsi que les conduites à risques. »

Encore plus de Pierrots, encore plus d’argent public versé à cette association par ailleurs sponsorisées par des acteurs économiques de la nuit et Kronenbourg (!) ? Deux des auteurs sont Frantz Steinbach (fondateur des Pierrots de la Nuit) et Solène Clappe-Corfa (administratrice des Pierrots de la Nuit). Ils veulent bien entendu encore plus d’argent public tout en refusant que leur efficacité soit sérieusement évaluée, si ce n’est pas eux-mêmes : des Pierrots gourmands! Voir notre article sur l’inutilité des Pierrots de la Nuit.

« Proposition 17 : favoriser la prise en compte de la dimension nocturne dans l’aménagement urbain
En matière de transports par exemple, nous préconisons à Paris et dans les grandes villes en région :
– un rallongement des horaires d’ouverture des lignes de métro, en particulier le week-end ;
– une augmentation de la fréquence des bus de nuit et la création de nouvelles lignes. »

Qui paiera? Le contribuable ou les établissements de nuit qui en seront les principaux bénéficiaires?
Comment pourrait-on sérieusement envisager de prolonger les horaires des transports sans deviner que « Culture Bar-bars », qui mène le même combat que les Pierrots de la Nuit, n’aura de cesse d’exiger le prolongement des horaires d’ouverture de tous les établissements. Comment en admettre la perspective quand on voit que, pour l’instant, les pouvoirs publics ne maitrisent pas ce qui se passe dans les créneaux horaires actuels ?

« Proposition 20 : repenser les fermetures administratives pour rétablir la confiance des investisseurs
Afin d’assurer une visibilité minimale aux programmateurs, nous proposons de fixer la durée de la première autorisation d’ouverture de nuit des établissements à vocation nocturne à un an, durée portée ensuite à cinq ans s’agissant du renouvellement, en l’absence de constatation d’une d’infraction.
Afin d’éviter les fermetures administratives sans préavis augmentant encore davantage la précarité des activités nocturnes, on pourrait imaginer de créer un dispositif sur le modèle du permis de conduire à points, qui éviterait les fermetures à très court terme. Des points pourraient être perdus, mais il serait aussi possible d’en regagner (par exemple si aucun problème n’est signalé pendant un certain nombre de semaines ou mois, si l’établissement met en place des actions destinées à lutter contre le bruit et autres nuisances…). »

Les Réseaux « Vivre Paris! » et « Vivre la Ville! » sont favorables au permis à points. Mais la version est ici corrigée afin d’obtenir une minimisation du risque pour les établissements contrevenant à la loi. A en croire ce rapport on pourrait penser que les fermetures administratives tombent sur des malheureux établissements innocents respectueux de la loi et de leur environnement. Il faudrait « éviter les fermetures administratives »? Le MAEDI souhaiterait que la loi ne soit plus appliquée?

« Proposition 21 : créer une clause d’antériorité pour protéger les établissements de recours abusifs
Il existe, pour certaines activités industrielles, agricoles, commerciales ou artisanales, des règles protectrices en cas de recours abusifs, en particulier la règle de l’antériorité prévue à l’article L.112-16 du code de la Construction et de l’Habitation…. »

Encore une tentative de passage en force de l’antériorité! Et d’interdire aux victimes de faire valoir leurs droits. Et si on appliquait cette loi d’antériorité à l’encontre des établissements générant des nuisances?

« Proposition 22 : favoriser le financement de projets de tourisme de nuit
Nos entretiens ont montré que des acteurs passionnés et engagés pour la mise en valeur d’activités nocturnes manquaient cruellement de soutien pour le développement de leur activité. Des fonctions aussi basiques que la traduction des sites ou la diffusion de certains supports vers les touristes ne sont pas assurées faute de moyens. Pourtant, les initiatives et outils existent souvent.
Nous préconisons que le fonds mis en place par BPI Francepour soutenir les projets dans le secteur du tourisme puisse également être accessible pour les projets de développement autour du tourisme nocturne. »

De l’argent disponible pour améliorer la vie nocturne de tous? Quelle bonne nouvelle! Nous proposons que l’usage de cet argent soit attribué aux projets de mesurages objectifs demandés depuis longtemps par les associations de riverains. (notre article) Quant aux entretiens, ils n’ont pas sollicité les riverains, sans quoi nos associations le sauraient. Or, même dans le cadre du Conseil de la Nuit créé par Mme Hidalgo, le rapport n’a pas été l’objet de la moindre consultation.

5 Comments

  1. Anaïs

    On a peine à croire que ces 22 mesures ne sont pas une blague, tellement elles donnent dans le délire ouvertement anti habitants et pro fric du lobby de la nuit.
    Une seule solution : groupons-nous, nous les habitants, pour contrer ce lobbying éhonté, qui s’infiltre dans l’administration, jusqu’en haut de l’Etat.
    Le réseau Vivre Paris peut, lui aussi, informer l’opinion publique.

    • Réseau "Vivre Paris !"

      Merci Anaïs pour ce commentaire. « Informer l’opinion publique ». C’est exactement ce que fait le Réseau « Vivre Paris! » qui a également interpelé la presse.

  2. Marie-Claude

    Incroyable d’oser faire ces propositions déjà. Et, en plus, qu’elles aient été mises en ligne sur le site du ministère. Mais qui a pu faire ça ? Il y a vraiment une faille quelque part. Savez-vous si les auteurs du rapport ont été rémunérés ?

  3. Daniel Ehret

    A l’approche de la COP 21, je vois dans cette élucubration dantesque une phénoménale hypocrisie, une contradiction hallucinante entre la volonté onusienne affichée par les dirigeants internationaux à propos de notre malheureux climat et le monstrueux gaspillage d’énergie qu’induirait le fait de généraliser le renoncement à distinguer le jour de la nuit. On prétend vouloir réduire les émissions de gaz à effet de serre, alors qu’on s’apprête à les multiplier par presque deux dans les grandes villes de partout !!! Au nom de quelle escroquerie intellectuelle ? Au nom de quelle prospérité ? De celle des margoulins de la nuit, lesquels, oublieux de leur devoir de contribution, refileront à la puissance publique la charge de réparer à grande échelle les conséquences ruineuses et délétères d’une idéologie fondée sur l’illusion du PIB. Je conchie le PIB, et même, quand je suis pris d’une crise de type libertaire, tous ceux qui continuent de l’ériger en dogme inviolable.
    Le Président du Centre Antibruit d’Alsace

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