La Ville de Paris est-elle au-dessus des lois ?
Les chauffages extérieurs dans l’espace public, donc essentiellement des terrasses des bars, cafés et restaurants sont interdits depuis le 1er avril dernier suite au décret d’application du 31 mars 2022 de la loi sur la lutte contre le dérèglement climatique du 22 août 2021. (voir notre analyse). La ministre Barbara Pompili en charge de ce dossier en 2020 avait précisé à cette occasion qu’ « on ne peut pas climatiser la rue en plein été lorsqu’il fait 30 degrés et on ne peut pas non plus chauffer à plein régime des terrasses en plein hiver pour le simple plaisir de boire son café en terrasse en ayant chaud « . Affirmation d’autant plus d’actualité depuis la survenue de la crise énergétique d’ampleur obligeant les pouvoirs publics à demander aux Français de se mettre à la sobriété énergétique. Les estimations évaluent à 1/2 million de tonnes le CO2 émis annuellement par ces chauffages et climatiseurs, soit l’équivalent des émissions moyennes de 300 000 voitures! (Evaluation du ministère de la Transition écologique).
Malgré l’existence de ce texte et le contexte présent, on voit encore de nombreux chauffages installés, certains en fonction avec le retour des températures d’automne, et plus particulièrement dans les quartiers festifs où les terrasses de bars et de restaurants se sont multipliées, des radiateurs infrarouges, des braseros… Nos amis de Droit au Sommeil Centre ont fait un relevé en juillet dans une dizaine de rues et portant sur 130 établissements. Le constat est clair : près de 4 bistrots sur 10 avaient encore des appareils de chauffage prêts à l’emploi au moindre coup de frais. Tous ces établissements ont été signalés sur l’appli DansMaRue et… les signalements ont tous été clos et… tous les chauffages sont restés en place.
Or au lieu de les faire enlever en vertu du texte rappelé ci-dessus, malgré la résistance de tel ou tel exploitant inconditionnel de ces chauffages, le conseil de Paris vient de voter une taxe qui ne manque pas de surprendre malgré les explications apportées depuis par les élus concernés de la mairie de Paris. Comment peut-on en effet taxer une installation illégale ? Même Ubu n’y aurait pas pensé !
Selon la municipalité, certains patrons de bars et restaurants continuent de les utiliser et ils sont même ressortis depuis quelques jours, la tombée de la nuit se faisant de plus en plus tôt. « Une aberration alors que des alternatives existent« , critique dans Le Parisien le conseiller écologiste de Paris, Frédéric Badina Serpette. La mairie a voulu agir pour dissuader encore un peu plus et non pas faire en sorte de légaliser le dispositif. « Elle n’a pas pour but de permettre la réintroduction ou le maintien de ces dispositifs désormais interdits par la loi, mais au contraire de participer à leur disparition« , répond l’adjointe à la Maire de Paris chargée du commerce, Madame Olivia Polski. Elle explique combien cette verbalisation sera compliquée à mettre en œuvre par la police municipale qui devra lors de son passage « constater que le dispositif est en cours d’utilisation » ajoutant que l’indemnité est « complémentaire et son montant, calculé selon la superficie de la terrasse chauffée, se veut le plus dissuasif« . Pour constater qu’une terrasses est chauffée il suffit aux agents de la police municipale de sortir les soirs un peu frais et de lever le nez en passant près des terrasses. Quelques citoyens l’ont fait, la Mairie de Paris devrait y arriver. (voir le compte Twitter de Droit au Sommeil)
La délibération votée au Conseil de Paris laisse pantois. On y lit en page 2 que « cette autorisation [de chauffage] ne s’applique qu’aux seules terrasses fermées« . Or le tableau des pages 5 à 7 prévoit une taxe pour les « terrasses ouvertes« .
Tout cela nous semble bien curieux. D’autant que le nouveau règlement des étalages et terrasses punit tout contrevenant d’une amende pouvant aller jusqu’à 1.500 euros voire 3.000 euros en cas de récidive. L’autorisation de la terrasse peut même être suspendue est-il écrit… Ne faudrait-il pas tout simplement éradiquer toute présence d’appareils de ce type comme la loi le demande ? Et si la mairie manque de policiers pour se charger des contrôles surtout le soir et la nuit, alors il serait plus simple de créer sur le site DansMaRue une option supplémentaire permettant à tout Parisien de signaler la présence de ces chauffages interdits et de faciliter ainsi la tâche de la police municipale ?
Quelle est la validité d’une telle taxe du point de vue des principes du droit et de la hiérarchie des normes ? Taxer quelque chose d’illégal semble juste impensable dans un état de droit ? Paris est-il toujours en France ? Ou est-ce devenu une principauté qui échappe au Droit français ? Si nous élargissons ce principe, je paye une petite taxe pour stationner à l’endroit qui me convient et j’échappe aux contraventions. La consommation et la vente de stupéfiant est interdite mais moyennant une petite taxe, etc. Peut-on acheter une transgression ? Une ville peut-elle vendre une transgression ?