Nous avons soumis le rapport de la Cour Régionale des Comptes (CRC) sur les terrasses implantées sur le domaine public à Paris à l’intelligence artificielle. Nous avons utilisé Le Chat (Mistral) et le résultat est tout simplement bluffant.
Nous avons donné le rapport de 64 pages de la CRC au Chat et avons posé une question simple : Quelles ont été les carences de la Ville de Paris dans la gestion des terrasses entre 2018 et 2023 ?
La réponse est tombée en moins de 10 secondes. Elle est sans appel.
La gestion des terrasses à Paris entre 2018 et 2023 a révélé plusieurs carences et défis, notamment :
Complexité réglementaire :
Le règlement des terrasses et étalages (RET) de 2021 est jugé trop complexe, avec 108 articles et 67 pages, ce qui complique son application et sa compréhension par les commerçants et les agents en charge de la gestion.
La grille tarifaire des redevances est également très complexe, avec 255 tarifs distincts, ce qui peut entraîner des erreurs de saisie et de calcul.
Renouvellement tacite des autorisations :
Les autorisations d’occupation temporaire (AOT) sont reconduites tacitement jusqu’au changement de propriétaire, ce qui empêche la mise en conformité des terrasses avec les nouvelles réglementations et limite la capacité de la ville à sanctionner les infractions.
Manque de moyens humains et matériels :
Les effectifs du service chargé des terrasses sont insuffisants pour assurer un contrôle efficace et un réexamen périodique des autorisations.
Les outils informatiques, bien que modernisés, ne sont pas encore pleinement opérationnels, ce qui limite l’efficacité des contrôles et la gestion des données.
Nuisances et plaintes des riverains :
Il y a eu une augmentation significative des plaintes des riverains concernant les nuisances sonores et les empiètements sur le domaine public.
Les associations de riverains critiquent le manque de retour sur les plaintes déposées et estiment que les sanctions ne sont pas suffisamment dissuasives.
Sanctions peu dissuasives et complexes :
Les montants des amendes pour les infractions sont jugés insuffisamment dissuasifs, ce qui n’incite pas les commerçants à respecter les règles.
Les procédures de sanction administrative sont longues et complexes à mettre en œuvre, ce qui limite leur utilisation.
Perte de recettes et compensation insuffisante :
La ville a subi des pertes de recettes importantes en raison des exonérations de droits de voirie pendant la crise sanitaire.
Les compensations prévues par l’État n’ont pas été suffisantes pour couvrir ces pertes.
Classification des voies obsolète :
La classification des voies parisiennes en fonction de leur commercialité n’a pas été révisée depuis 2005 et ne reflète plus la réalité économique actuelle, ce qui peut entraîner une tarification inadéquate des terrasses.
Ces carences montrent que, bien que les terrasses soient un élément important de la vie économique et sociale de Paris, leur gestion nécessite des améliorations pour mieux équilibrer les intérêts des commerçants et des riverains, tout en assurant une utilisation efficace et équitable du domaine public.
Le Réseau Vivre Paris et le Collectif Droit au Sommeil ont été auditionnés lors de la préparation de ce rapport. Nous remercions les magistrats pour la pertinence de leurs questions et la qualité de leur écoute.
Le Cour Régionale des Comptes (CRC) a eu accès à des documents qui mettent en lumière l’évolution débridée de l’occupation de l’espace public au cours des dernières années.
La surface occupée par les terrasses a progressé de 60 % entre 2020 et 2023.
Les terrasses à Paris en quelques chiffres : La surface occupée par les terrasses a progressé de 60 % entre 2020 et 2023. En 2022, la surface des nouvelles terrasses estivales autorisées atteignait près de 45 000 m2 soit 4,5ha ou 10 terrains de football (!). Les bars et restaurants représentent donc un commerce sur quatre à Paris. Ces chiffres nous donnent raison lorsque nous parlons de mono-activité bistrotière. Paris-Centre, les 9ème et18ème arrondissements, la Butte aux Cailles en sont des exemples parmi d’autres. En 2024, une nouvelle évolution a vu la transformation de 2000 places des stationnement en terrasses pérennes, sans compter sur les places de livraison (qui posent des problèmes aux livreurs et aux artisans notamment) et les contre-terrasses de l’autre côté de la rue (dont certaines sont dangereuses pour le personnel et les clients).
Le règlement des terrasses : 67 pages et 108 articles
Notre recours devant le Tribunal Administratif contre le Règlement des Terrasses et Étalages (RET) conforté par le rapport de la CRC. Dans son recours devant le Tribunal Administratif contre le Règlement des Terrasses et Étalages (RET), le Réseau Vivre Paris attaquait le RET car il méconnaît le principe d’intelligibilité et d’accessibilité de la norme. La CRC mentionne « une trop grande complexité qui nuit à son efficacité« . Le rapport de l’inspection générale de la Ville de Paris (IGVP) de 2016avait pourtant déjà pointé « l’inflation normative » du règlement de 2011 par rapport au règlement de 1990. Celui de 2021 atteint des sommets en matière d’inflation avec ses 67 pages et 108 articles, sans compter le « cahier de recommandations » ! A titre de comparaison celui de la ville de Lyon comprend 27 pages.
La Ville ne respecte pas les règles qu’elle a elle-même édictées
Notre recours devant le Tribunal Administratif pour carences fautives de la Ville de Paris conforté par le rapport de la CRC. Dans notre recours devant le Tribunal Administratif pour carences fautives de la Ville de Paris, nous attaquions l’incapacité de la Ville à appliquer son propre règlement des terrasses. La CRC remarque que « la Ville ne respecte pas les règles qu’elle a elle-même édictées, ce que relevait déjà le rapport d’audit de l’IGVP sur l’instruction des demandes de terrasses de 2016« . Autre carence : « la reconduction automatique des titres incite les professionnels à croire qu’ils détiennent un droit acquis sur le domaine public, ce qui est contraire au principe de précarité des autorisations d’occupation temporaire« (AOT). En effet les AOT sont renouvelables chaque année au 31 décembre. Le Réseau Vivre Paris demande depuis des années que les autorisations ne soient pas renouvelées pour les établissements ayant commis un certain nombre d’infractions au RET ou ayant causé des troubles à la tranquillité public. Il est à noter que « les taux de recouvrement des droits de voirie et des amendes dressées par la police municipale ne sont pas, ou mal, connus de la Ville« . (!) Non seulement les amendes sont faibles mais elles ne sont pas toujours payées…
La Ville n’a aucune certitude sur le niveau réel des encaissements des droits de terrasses
255 tarifs différents de droits de terrasses Autre complexité qui rend la situation particulièrement opaque : les 255 tarifs différents qui entrent dans le système de calcul des droits de terrasses. Les droits de voirie sont fonction du type de rues. Le barème date de 2005 et a été retouché en 2011. Certains droits de terrasses sont particulièrement faibles ce qui, selon la CRC, » pourrait constituer une aide illégale à l’immobilier d’entreprise ou une subvention déguisée« . Il est à noter qu’une « part non négligeable de ces redevances est perçue au titre des emprises irrégulières constatées sur le domaine public, soit que l’occupation n’ait pas été autorisée, soit parce qu’elles dépassent l’emprise accordée ou encore que des suppléments installés n’ont pas été déclarés« . Cela signifie que la Ville perçoit des droits sur des terrasses illégales, lui donnant ainsi une légitimité. Au passage nous découvrons une nouvelle carence de la part de la Ville : le Service du Permis de Construire et du Paysage de la Rue (Direction de l’Urbanisme, Mairie de Paris) (SPCPR) n’a « aucune certitude sur le niveau réel des encaissements en cours d’exercice et, de facto, sur le taux de recouvrement effectif et la situation individuelle des redevables« . Utilisant une litote, la CRC appelle cela « un angle mort en matière de suivi et de gestion« .
La Ville n’a aucune certitude sur le taux de recouvrement des amendes
Des amendes ridiculement faibles Depuis des années le Réseau demande que les amendes infligées aux établissements contrevenants soient revues à la hausse afin d’être dissuasive. Selon le rapport, « elles n’incitent pas les bénéficiaires des autorisations au respect des règles« . Selon les services en charge du contrôle cités par la CRC, « les exploitants se targuent de combler le montant de la ou des contraventions reçues en quelques couverts« . C’est « la preuve des avantages pécuniaires importants générés par une terrasse« . Il est à noter que la Ville a refusé de fournir toutes les pièces concernant la gestion des amendes dressées sur le domaine public au titre des terrasses. Ce qui en dit long sur l’opacité du système. La CRC note d’ailleurs que, tout comme pour les droits de voirie, les taux de recouvrement des amendes dressées par la police municipale ne sont pas, ou mal, connus de la Ville.
24 inspecteurs pour 28 000 terrasses
Des contrôles insuffisants 24 inspecteurs du SPCPR instruisent les demandes d’autorisations. Selon eux, ils estiment consacrer la moitié de leur temps à des visites de terrain. Vu qu’il y a plus de 28 000 terrasses taxées selon l’Open Data de la Mairie et vu le nombre de terrasses en infraction ou tout bonnement illégales nous pouvons douter de cette affirmation, tout comme la CRC qui précise que « les effectifs de ce service apparaissent insuffisants pour pouvoir procéder à un réexamen régulier des autorisations de terrasses. »
Le rôle du Conseil de la Nuit Le CRC épingle le Conseil de la Nuit dont l’objectif est la promotion de la vie nocturne et dont « l’efficacité en termes de régulation des nuisances liées aux terrasses pour les riverains apparaît limitée« . C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle les associations et collectifs de riverains ont claqué la porte en avril 2024.
Selon la Mairie de Paris, la lutte contre le bruit provenant des terrasses progresse de manière satisfaisante (!)
Mesurer les nuisances sonores Les riverains demandent depuis des années que les nuisances sonores sont mesurées objectivement par BruitParif. 13 « méduses » ont été installées par BruitParif et permettent de mesurer les nuisances sonores générées par les bars. Mais comme le dit le collectif Droit au Sommeil : « La Ville de Paris préfère ne pas savoir« . Le rapport mentionne l’audit du bruit festif réalisé en novembre 2022 dans le quartier Montorgueil par BruitParif. Or deux ans après rien n’a changé, ce que confirme Fanny Mietlicki, directrice de BruitParif, dans un entretien avec Droit au Sommeil : « Je ne connais pas précisément les intentions de la mairie de Paris Centre ou de la Ville de Paris en lien avec ces résultats.« La Mairie qui n’est jamais avare de marques d’auto-satisfation estime que « la lutte contre le bruit provenant des terrasses progresse de manière satisfaisante ». Or le nombre de signalements et les retours qu’on les associations de riverains montrent exactement le contraire.
45 000 plaintes déposés par les riverains en 18 mois
45 000 plaintes de riverains mais très peu suivies de sanctions Entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 plus 45 000 plaintes ont été déposés par les riverains. Le rapport rappelle que ces plaintes ne sont suivies d’aucun retour. Ces plaintes ne débouchent que trop rarement, voire exceptionnellement, sur des sanctions dont certaines sont symboliques (65€). Comme l’indique le rapport « seules 192 procédures ont été mises en œuvre depuis 2021. Elles ont conduit à 83 lettres de mise en demeure suivies de 51 cas d’amendes administratives de 500 €, et, dans 8 cas seulement, à une mesure de retrait d’office du matériel de terrasse« .
Une mairie qui n’écoute pas les riverains victimes des nuisances
La Mairie sourdes aux demandes des riverains Le rapport rappelle la manière dont la Ville a organisé la « concertation » sur le RET : – limitée à deux semaines en pratique – demandes d’organisation de réunions supplémentaires : refusées – bases « biaisées » puisqu’il n’était question que de la pérennisation des terrasses éphémères, ce que les riverains rejetaient – bilan des terrasses éphémères et les questions liées à leurs nuisances : refusé – demande de création d’un comité de suivi du nouveau RET : refusé – sanctuarisation d’un passage de 1,80 mètres de passage pour les piétons sur les trottoirs : refusée Le rapport mentionne une demande récurrente, non satisfaite, des associations et collectifs de riverains : leur participation aux commissions de régulation des débits de boissons et aux comités locaux bruit.
Le Figaro résume très bien la situation dans son titre : « Sanctions trop légères, tensions avec les riverains… À Paris, les terrasses se multiplient, les problèmes aussi« .
Le Réseau Vivre Paris demande tout simplement que la Mairie de Paris suive les recommandations préconisées par la Cour Régionale des Comptes recommandations que nous pourrions reprendre intégralement à notre compte.
Dans un article du Parisien (C’est le grand retour des terrasses estivales) la Mairie de Paris annonce que 1 600 autorisations de terrasses estivales ont été accordées. Pour mémoire plus de 12 000 terrasses estivales avaient envahi les rues et places de Paris en 2021, causant de multiples nuisances (difficulté de déplacements sur les trottoirs, places de stationnement occupées, nuisances sonores, non-respect des horaires…). La Mairie avait utilisé la crise sanitaire pour justifier le cadeau fait au lobby des bars et de l’alcool. Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo maintient cette position : « ces terrasses ont toute leur place dans un contexte sanitaire qui nécessite la vigilance ». Belle excuse !
La Mairie annonce avoir reçu plus de 11 000 demandes à ce jour. Seules 4 000 ont été traitées à quelques jours de la date officielle de la saison estivale à la mode de Paris (1er avril – 31 octobre ! ). Le diable se cachant dans le détail, on peut lire ceci sur le site de la ville : « J’ai fait ma demande de terrasse estivale, quand puis-je m’installer ? Dès la réception du récépissé qui me permet de m’installer provisoirement dans l’attente de l’autorisation définitive après l’instruction de la demande par les services de la Ville, Préfecture et Maire d’arrondissement. » Donc, pas besoin d’autorisation pour s’installer sur le domaine public. Il suffit d’envoyer sa demande le plus tard possible, sachant la ville incapable de gérer les dossiers dans les délais, d’attendre un récépissé de demande et de s’installer, ce qui est en parfaite contradiction avec le règlement municipal. En effet l’article DG1 du nouveau règlement des terrasses et étalages (RET) rappelle la règle : « Toute occupation du domaine public viaire par une installation (…) est soumise à autorisation préalable délivrée par la Maire de Paris, après dépôt d’une demande auprès de ses services et après consultation pour avis du Préfet de Police et du Maire d’arrondissement. » Les Parisiens risquent donc d’être confrontés au chaos des deux dernières années.
Certains maires d’arrondissements (Paris-Centre, 9ème et 17ème par ex.) ont, semble-t-il, entendu leurs administrés (et électeurs) et ont « retoqué les établissements ayant provoqué trop de désagréments l’an dernier. » Ce qui est quand même la moindre des choses.
La Maire du 9ème arr., Delphine Bürkli, tout comme les Parisiens victimes des nuisances en tout genre, s’interroge : « la mairie de Paris aura-t-elle vraiment les moyens d’assurer les contrôles ? » La réponse d’Emmanuel Grégoire laisse songeur : « une vingtaine d’agents de la Direction de l’Urbanisme et la police municipale » seront chargés des contrôles. Au vu des débordements de l’an dernier, de l’indigence de l’appli DansMaRue, les Parisiens peuvent à nouveau craindre la pire.
Un autre article du Parisien (Le secteur Montorgueil sous haute surveillance) nous apporte un autre élément de réponse. Les bars semblent convaincus de leur impunité face à la loi. Le journaliste écrit que « nombreux sont ceux qui comptent frauder s’ils n’obtiennent pas d’autorisation formelle de la mairie. » Un gérant d’établissement n’hésite pas à dévoiler sa stratégie : « Il suffit d’attendre le passage de la police entre 17 et 18 heures, puis d’installer des tables pour le happy hour, et le tour est joué. » C’est bien ce que les Parisiens ont pu constater en 2020 et 2021.
Dans un article de 20 Minutes (Seulement 4.000 terrasses estivales validées par la mairie, contre 12.000 en 2021) le journaliste souligne « le silence assourdissant de la mairie de Paris », silence que nous déplorons depuis des semaines : impossible de connaitre la liste des autorisations de terrasses accordées. Elle ne sera communiquée que fin mars, bien trop tard pour faire des recours avant la mise en place des terrasses estivales.
Dans ce même article, Franck Delvau, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) de Paris Île-de-France, semble déplorer que les riverains se tournent vers leurs maires d’arrondissement pour leur demander de les protéger des nuisances générées par la profession qu’il défend . Que pense-t-il des pratiques illicites de certains établissements du Paris-Centre ? Et enfin on apprend que le même Franck Delvau n’est « pas sûr d’assister à la conférence de presse prévue » par la Mairie de Paris. A quel titre serait-il invité ?
Les Parisiens attendent de la Mairie de Paris, de sa police municipale et de la police nationale que les débordements dont ils ont été victimes deux années de suite ne se reproduisent pas et qu’il soit mis fin à l’impunité des bars.